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Interview du tromboniste David Rey
David Rey est trombone solo du Brussels Philharmonic. Lorsque nous avons reçu son premier disque en soliste nous avons été heureux de découvrir des sonorités à la fois éclatantes et totalement maîtrisées dans la retenue avec un répertoire riche et varié à même de nous faire apprécier de nouveaux compositeurs au côté de classiques de l'instrument. Nous avons rencontré ce musicien de 33 ans débordant d'énergie à sa descente du Thalys, quelques heures avant un concert dirigé par Michel Tabachnik à la Cité de la musique…
Tutti-magazine : Vous souvenez-vous du moment où vous avez décidé de jouer du trombone ?
David Rey : Mon attirance pour cet instrument remonte à l'enfance. Je suis originaire d'une petite région alpine de Suisse, le Valais, et dans ce canton assez cloisonné, chaque village possède sa propre fanfare. À l'âge de 10 ans, sous l'impulsion de mon oncle, je me suis intégré aux cuivres en jouant du cornet. Avec cet instrument, j'étais une vraie calamité ! Puis, au bout d'un an, la fanfare avait besoin d'un tromboniste et - ce n'est sans doute pas très glamour - j'ai ainsi commencé le trombone par hasard avant d'en tomber amoureux.
Jusqu'à en faire votre métier…
Mon cursus musical avançait en même temps que mes études et, après mon certificat de maturité - l'équivalent suisse du bac - je me suis demandé ce que je voulais vraiment faire de ma vie. Parallèlement, je commençais à gagner quelques prix avec mon trombone et réalisais que jouer d'un instrument pouvait devenir un métier, ce à quoi mon éducation ne m'avait pas préparé. J'ai alors suivi mon grand frère au Conservatoire supérieur de musique de Genève et, à partir de là, mon pied était dans l'engrenage… J'ai peu après découvert le son magnifique d'un orchestre symphonique, cachetoné comme je le pouvais et, au fur et à mesure, ma trajectoire s'est dessinée. Si rien ne me prédestinait à une carrière musicale, une succession de petits événements m'a fait comprendre que là était ma place. La musique, j'en avais conscience, me permettait aussi de juger rapidement des résultats de mon travail personnel, contrairement à un sport de groupe, par exemple. Je trouvais cela bien plus gratifiant que de devoir comparer mes aptitudes à celles de mon voisin.
Quels sont les aspects du trombone qui vous attirent ?
Certainement son côté lyrique, comme celui du cor, qui le rapproche de la voix humaine, et en particulier de la tessiture de baryton. Lorsque j'étais plus jeune j'aimais l'amplitude de mouvement du tromboniste avec son instrument. Cet aspect a eu un certain impact sur l'enfant que j'étais. J'ajouterais que je ressens moins d'affinités avec les sons aigus comme ceux de la trompette.
Entre 2002 et 2007 vous participez régulièrement à l'Orchestre du Festival de Verbier ; quelles ont été les rencontres marquantes faites dans ce cadre ?
C'est en fait lors de mon premier Festival de Verbier que j'ai décidé de devenir tromboniste professionnel. J'étais pour la première fois plongé dans un environnement de musiciens déjà engagés qui marquait une énorme différence avec les orchestres semi-professionnels avec lesquels j'avais travaillé et qui ne me motivaient pas plus que ça. Ils me donnaient une image un peu plan-plan de la musique classique. Verbier a été pour moi une véritable révélation. Les rencontres avec d'autres trombonistes et d'autres jeunes musiciens m'ont apporté énormément et c'est là aussi qu'est véritablement né mon amour pour la musique symphonique. Bien sûr les chefs d'orchestre avec lesquels j'ai pu travailler lors des festivals ont enrichi mon expérience d'une façon incroyable. Pensez qu'à Verbier, en six ans à raison de deux mois chaque année, j'ai eu la chance de rencontrer plus de chefs prestigieux que bon nombre de musiciens dans toute leur carrière ! Dans ce cadre, les maestros partagent volontiers leur philosophie personnelle avec les musiciens, ce qui est rare dans le cadre d'un orchestre professionnel.
En 2008, vous rejoignez le Brussels Philharmonic. Que pouvez-vous dire de votre place dans l'orchestre et de votre travail avec Michel Tabachnik ?
Je suis rentré au Brussels Philharmonic la même année que Michel Tabachnik. On peut dire que nous sommes les deux premiers Suisses de l'orchestre ! Plus sérieusement, je peux vous dire que, après avoir joué pendant 8 ans avec le merveilleux Orchestre de chambre de Lausanne - une collaboration que j'ai adorée -, un tromboniste se sent davantage valorisé au sein d'un grand orchestre de par la puissance qu'il peut développer. La prédominance des cuivres a quelque chose de grisant. La musique de chambre table bien sûr plus sur le raffinement sonore. Du reste, cette forme d'expression me manque parfois… Quant au travail avec Michel Tabachnik, j'apprécie beaucoup son aspect spontané et vivant.
Vous jouez également dans diverses formations qui vont de l'harmonie et du brass band au récital avec orgue ou piano… Quelle est la hiérarchie dans ces modes d'expression ?
Je consacre la plus grande partie de mon temps au Brussels Philharmonic, mais il me reste environ quatre mois par an pour me livrer à d'autres explorations musicales.
En tant que tromboniste, il vous arrive de ne jouer que quelques mesures sur toute une œuvre. Par rapport à des cordes en permanente activité, n'est-ce pas un peu frustrant ?
Aujourd'hui, je ne ressens pas ce genre de sentiment et me concentre essentiellement sur la qualité de mes interventions, aussi peu nombreuses soient-elles. Le tromboniste bénéficie de très peu de temps pour s'exprimer, alors ce doit être parfait… Ceci étant, la musique de chambre m'offre la possibilité de jouer une ligne musicale complète, chose très rare dans un orchestre symphonique où le trombone joue davantage un rôle de soutien. Mon équilibre de musicien se situe à vrai dire entre ces deux pôles. Il m'est en outre très important de pouvoir aussi m'exprimer par moi-même, sans me placer sous la direction d'un chef.
Vous avez 33 ans et vous sortez votre premier disque…
Je sentais que le moment était venu. C'est une étape très importante pour moi, qui m'a demandé beaucoup d'énergie. Lorsque je me suis lancé dans cet enregistrement, je n'avais pas d'expérience et j'ai appris en faisant. Le prochain disque sera sans doute plus évident…
Ce premier disque symbolise-t-il une envie d'expression différente, voire d'indépendance ?
Je pense que c'est surtout pour moi une façon de dépasser un trait de caractère qui consisterait à penser qu'une carrière de soliste, c'est pour les autres ! C'est une attitude très typique des gens du Valais qui n'ont pas l'habitude de se mettre en avant. Ce disque symbolise en quelque sorte un cap. Quant à un besoin d'indépendance, je pense que le Brussels Philharmonic est vraiment la formation dans laquelle je dois me trouver aujourd'hui. Je sens l'orchestre progresser dans sa qualité mais aussi dans ses ambitions. Me hisser à la hauteur de ces ambitions me donne plutôt envie d'y demeurer. Mais cela ne m'empêche nullement d'essayer d'autres choses avec le plus grand nombre d'ensembles possible.
Comment la Direction de l'orchestre réagit-elle aux enregistrements de musiciens qui sont réalisés en dehors de sa structure ?
Toute expression personnelle enrichit d'une certaine façon l'aura de l'orchestre. Si un soliste est reconnu, il lui apporte sa renommée.
Votre premier disque réunit une grande variété de pièces. Comment avez-vous composé ce programme curieusement baptisé Blinding Flash ?
Ce disque est construit en forme de carte de visite. Le titre est celui de la pièce qu'un de mes élèves valaisans, Damien Lagger, a écrite pour moi. Ce jeune compositeur de 17 ans est une étoile montante en Suisse. Blinding Flash me correspond assez bien avec son grand contraste entre la partie lente et la partie très rapide qui demande de la précision technique. Je me retrouve fort bien entre cette hyperactivité opposée à un aspect plus nostalgique. C'est une écriture assez jeune que je trouve très prometteuse et j'ai voulu l'intégrer à mon disque en espérant pouvoir contribuer à faire connaître un jeune talent. En français, "Blinding Flash" signifie "émerveillement" et cela peut aussi correspondre à l'aspect virtuose que je devais forcément exposer dans un premier disque. Je ne recherche absolument pas la prouesse technique à tout prix, mais dans ce contexte, c'était un passage obligé. Cependant, je me suis efforcé de rassembler des pièces originales au côté de classiques comme la Romance de Weber. Par exemple, j'ai tenu à enregistrer Les 4 tempéraments de Kurt Sturzenegger. Ce compositeur contemporain est connu pour son écriture pour le trombone, mais cette pièce est très peu jouée. La variété de ce que je suis capable de jouer était importante à présenter. Il doit en être ainsi pour tous les premiers disques de solistes…
Pouvez-vous nous parler de Trombone Carnival de Bertrand Moren pour trombone et brass band ?
Cette pièce très marquée par la pyrotechnie a été écrite par un tromboniste valaisan il y a une douzaine d'années. Bertrand Moren est très actif dans le monde des ensembles de cuivres et Trombone Carnival permet d'entendre le son rendu par une telle formation avec un trombone soliste. Je me sens proche de l'énergie qu'elle déploie.
Vous avez enregistré deux pièces avec l'organiste Frank Heye. Que pouvez-vous nous dire du Kyrie de Jean-François Michel ?
Jean-François Michel est également un compositeur suisse. J'ai beaucoup joué son Kyrie en récital et il était incontournable de l'ajouter au programme. Cette écriture très sincère apporte de la profondeur parmi les pièces brillantes. Elle a été écrite par le compositeur après le décès de son père et résonne un peu comme le cheminement d'une pensée endeuillée. C'est la seule pièce du disque que l'on pourrait qualifier de descriptive.
Aimez-vous rendre votre trombone descriptif ?
J'apprécie tout autant l'expressivité que je peux exprimer avec mon instrument qu'une écriture très technique, brillante. L'arrangement que j'ai fait du Carnaval de Venise s'inscrit on ne peut mieux dans ce côté clinquant. Le trombone permet autant de toucher par sa profondeur que de frôler l'esbroufe dans des pièces assez superficielles qui privilégient la virtuosité de l'interprète !
Si vous deviez aujourd'hui enregistrer un second disque, quel programme proposeriez-vous ?
Avant toute chose, je préférerais éviter d'enregistrer la énième version de pièces connues du répertoire pour trombone et piano ou orchestre. Même si je les apprécie, à quoi bon ajouter son disque à une longue liste d'autres interprétations ? Je pense que je me dirigerais naturellement vers de nouvelles pièces écrites pour ensemble de cuivres. Bien sûr, enregistrer des concertos avec un orchestre me plairait aussi. Peut-être un jour avec le Brussels Philharmonic…
Michel Tabachnik se montre-t-il ouvert à ce genre d'initiative ?
Non seulement ouvert mais c'est une proposition qu'il a faite aux instrumentistes de l'orchestre. Mais il est loin d'être évident de trouver une fenêtre de liberté sur le planning très chargé de l'orchestre. Son activité se développe vraiment depuis quelque temps…
Vous avez enregistré la musique de Ludovic Bource composée pour The Artist avec le Brussels Philharmonic ? Quel souvenir gardez-vous de ces sessions ?
Enregistrer la musique de The Artist a été un vrai plaisir car elle est très bien écrite. Dans ce contexte, le Brussels Philharmonic s'est transformé en orchestre de studio et le principal impératif était d'avancer rapidement. Il fallait privilégier le résultat global et ne pas prétendre entrer dans les détails au-delà d'une certaine exigence. Je vous avoue que j'aime moyennement cette contrainte mais je dois reconnaître qu'elle tient les musiciens en alerte car ils doivent obtenir le meilleur résultat possible dans un laps de temps très court. Je peux vous confier que ma concentration durant l'enregistrement était telle que j'aurais été incapable de vous dire à la fin si tout s'était bien déroulé. Je suis bien sûr très heureux du résultat, même si je perçois à l'écoute qu'il s'agit d'un travail accompli sur le vif, ce qui se remarque dans la plupart des enregistrements de musiques de films. Il a été question à un moment d'accompagner le film en live et même de faire une tournée, mais il faudrait ajouter des jours aux mois pour que l'orchestre puisse accomplir tout ce qu'il souhaiterait. De plus il se positionne davantage comme un orchestre de concert et doit veiller à ne pas être assimilé à une formation de studio.
Vous avez arrêté d'enseigner lorsque vous avez rejoint le Brussels Philharmonic. La pédagogie vous manque-t-elle ?
En fait, à une certaine époque, je n'aimais pas devoir donner des cours pour vivre mais enseigner s'apparente pour moi au plaisir de transmettre. Lorsque j'ai été engagé à Bruxelles, j'ai dû abandonner mes cours en Suisse, mais je sais que je développerai cet axe dans le futur. Du reste, je vais reprendre à Lausanne la classe du grand tromboniste français Michel Becquet pour une année. C'est un véritable honneur pour moi…
Propos recueillis par Tutti-magazine
Le 12 mai 2012